Selon la tradition, les habitants de Buellas surnomment les dionysiens « les voleurs de cloches » : pourquoi, depuis quand et quelle est l'origine de cette histoire ?
Sous le régime révolutionnaire, presque toutes les cloches du département furent réquisitionnées pour y être transformées en monnaies et en canons. Les rois d’Europe menaçaient la fragile république, qui manquait cruellement de liquidités.
Notre cloche fut donc fondue sur les bords de Saône, à Pont-de-Vaux à quelques lieues de là. Mais certaines subsistèrent ! Ainsi, quelques années plus tard, les habitants de Buellas résolurent coûte que coûte de s'en procurer une. Ils se rendirent avec des charrettes bien escortées sur les bords de Saône où étaient gardées en dépôt les cloches de plusieurs départements et en chargèrent trois qu'ils ramenèrent dans leur village. Ils en furent quittes pour les frais de transport. Ce fut la fête à Buellas. On fit des matefaims et on dansa. Deux cloches furent placées au clocher et la troisième, faute de place enfouie.
Quelques temps plus tard, un riche citoyen, César Perier, commissaire de police à Bourg et propriétaire à Saint-Denis (pauvre paroisse, car non seulement ses cloches avaient disparu, mais son clocher fut à moitié démoli) ayant connaissance de l'existence de la cloche écrivit le 30 Prairial de I'an X (1) au citoyen Humbert, conseiller de préfecture exerçant par intérim les fonctions de préfet.
Dans une longue lettre, il lui exposa la situation, lui demandant de maintenir, sur la circonscription des paroisses dont le citoyen Humbert s'occupait, la commune de Saint-Denis comme cure, ou tout au moins comme succursale. Mais comme dans I'un ou l'autre cas, l'église ne possédait pas de clocher, il demandait au préfet de prendre un arrêté attribuant à Saint-Denis la cloche enfouie dans des décombres à Buellas ...
«Je ne suis jaloux (par l'intérêt que je porte à Saint-Denis) que de l'excès de bonheur des habitants de Buellas. J'ai recours à vous et vous prie de bien vouloir les inviter à faire à la commune de Saint-Denis la remise d'une des trois cloches convenables à l'exercice du culte ».
Par arrêté du 2 thermidor, le préfet décida qu'une des trois cloches de Buellas serait remise à la commune de Saint-Denis. Le citoyen Perrier-Labalme, commissaire de la ville de Bourg, fut chargé de l'exécution de l'arrêté. Ce qu'il fit à la grande satisfaction des habitants de Saint-Denis, et aux grands regrets de ceux de Buellas qui n'apprécièrent guère les railleries et les provocations des sandeniens.
Un retour de cloche mouvementé
Aussi, un beau jour, le 6 Fructidor de l'an X, une soixantaine d'habitants de Buellas, armés de bâtons, firent irruption dans l’église de Saint-Denis, au moment où l'on célébrait l'office. Renversant tout sur leur passage, ils ramenèrent la cloche à Buellas. Le maire de Saint-Denis, le citoyen Barbet, adressa le même jour un rapport au préfet. « Une vingtaine d'entre eux... après avoir rudement et indécemment renversé pour se faire un passage, ceux qui assistaient à l'office ont, au mépris de votre arrêté et en présence du Saint-Sacrement exposé, traîné hors de l’église la cloche ci-dessus mentionnée ».
Suivent les noms des habitants de Buellas reconnus dans l'attroupement, et ceux de Saint-Denis, témoins de la scène. Le même jour, le préfet ... « considérant qu'il importe de livrer promptement à toutes les sévérités des lois les instigateurs, auteurs et fauteurs d'un délit aussi grave ». II prit un nouvel arrêté. Le capitaine de la gendarmerie était invité, et au besoin requis, d'envoyer dans le jour un détachement de gendarmes pour prêter main forte au maire de Buellas chargé de faire ramener la cloche à Saint-Denis.
Les gendarmes à la rescousse
Le lendemain, le lieutenant Debrosse, assisté de six gendarmes, signifiait l'arrêté au maire de Buellas. Le maire se rendit alors à l'église et fit tinter la cloche pour rassembler les habitants. Des habitants qui, bien que leur maire « les ayant pérorés et leur ayant fait entrevoir le danger auquel ils s'exposaient, ont persisté dans leur refus ... ». Le lieutenant se retira et dressa procès-verbal que seul le maire signa.
Le maire de Buellas fit alors un rapport le 10 fructidor au préfet et tenta d'atténuer la rébellion de ses concitoyens « ignorant les conséquences de leur démarche ... Cet acte imprudent n'a été l'effet d'aucune combinaison coupable »... les deux morceaux de branches que l’on a pu prendre pour des bâtons étaient uniquement destinés à serrer les liens du charriot ... » le regret d'avoir été privé d'une cloche ... de l’avoir vu passer au pouvoir d'une commune voisine ... les railleries et provocations des habitants de Saint-Denis ... ont pu entraîner quelques gens peu réfléchis à aller eux-mêmes la reprendre ».
Le maire, qui était soutenu par son adjoint, demanda les circonstances atténuantes pour ses concitoyens et toute l'indulgence du préfet « pour les quelques égarés ... ils sont pour la plupart pères de famille et ce qui achèvera de vous déterminer, c'est qu'en ce moment, la cloche a été remise à Saint-Denis ainsi que le démontre le certificat ci-joint ».
Effectivement, M. Barbet, maire de Saint-Denis, avait établi un certificat déclarant que le citoyen Antoine Maligand, maire de Buellas, a ramené « cet aujourd'hui 10 du mois de fructidor et rétabli dans l'église de cette commune, la cloche qui en avait été furtivement enlevée le 6 du courant par les habitants de Buellas ».
L’histoire s’arrête donc là, mais deux cents ans plus tard, les anciens de Buellas continuaient encore à nous appeler « les voleurs de cloches »... Comme quoi la rancune peut-être tenace !
D’après un article de Gérard Bouvard. Convertisseur du calendrier révolutionnaire.